Science-Fiction & Polar
Un détective
genre dur à cuirefort tourmentépétri de principesmais un androïdemais pas de femme fatale
Tout ceci n'est bien évidemment qu'une approche personnelle, se limitant, de fait, à un point de vue partial et partiel, d'autant que des âmes bien nées et plus cultivées pourraient aisément y ajouter mille et une références de meilleure qualité ou plus argumentées.
Au cœur d'un imaginaire dans lequel
science-fiction et policier sont réunis
Lors d’un échange fort intéressant sur les genres et sous-genres, autant que sur les liens qui pouvaient exister entre eux, je m’étais fendu d’une réflexion sur ces fameux mélanges de genres dans l’imaginaire, et principalement, parce que le sujet portait là-dessus, sur la régulière intrication SF et Fantastique.
Personnellement, j’avoue que le concept de classification d’une œuvre, que ce soit un roman ou une nouvelle, dans le monde l’imaginaire, n’est pas ma tasse de thé. Non qu’il n’en faille pas, mais j’ai simplement des difficultés à cantonner un texte à un seul élément comme cela se fait en biologie et taxonomie.
D’abord parce qu’il me semble difficile de définir les frontières exactes de chacun de ces éléments. Ainsi en SF, vouloir cantonner un texte à du pur space-opera, par exemple, me paraît extrêmement illusoire. J’ai tendance à dire – comme beaucoup, me semble-t-il – que le thème dominant serait le space-opera, mais que l’on trouve en dosage plus ou moins important d’autres concepts ou approches.
Le classement est encore plus complexe dès lors que l’on aborde des cycles comme Dune (Franck Herbert), Fondation (Isaac Asimov), ou ceux des Inhibiteurs (Alastair Reynolds), de Tschaï (Jack Vance), des Seigneurs de l’Instrumentalité (Cordwainer Smith). Tous ont des mélanges importants et heureux.
En prenant pour exemple le monde du Fleuve (Philip José Farmer) ou plutôt le cycle du Fleuve de l’Éternité, on tombe qu’on le veuille ou non dans des approches où le fantastique vient prendre sa part dans l’histoire. Nous pourrions même basculer dans la fantasy « pur » avec le cycle de Majipoor (Robert Silverberg) qui contient pourtant nombre d’aspects de science-fiction.
Pour ma part, j’apprécie ces mélanges, au point que chacune des nouvelles d'Aliens, vaisseau et Cie se voulait une joyeuse fusion des sous-genres SF.
Le mélange fantasy, avec sa magie, et SF est, lui aussi, un élément heureux. Je reconnais que l’analyse des Gueules des Vers qu’a écrite Robert Yessouroun (auteur de « Le village des étoiles », « Un robot de trop », « Les voleurs d’absurde », etc.) met d’ailleurs fort bien en avant cette intrication en précisant ceci :
Il s’agit d’une évaluation de Colorado, l’IA d’un vaisseau spatial
(qui est un peu la face positive de HAL, dans 2001, l’Odyssée de l’espace)
« L’influence de Colorado était si éloignée de toute science qu’elle prenait des allures de magie. Ou de sorcellerie. » (Page 297)
Mais l’autre point qui m’a souvent interpellé est celui du mélange Polar et SF. Principalement parce que je suis grand amateur de policiers, noirs ou plus classiques. Pour ce que j'en sais, la mode du roman policier et le goût du lectorat à son égard ont pris un sacré essor depuis le début du XXe siècle, que l'on soit dans les classiques à la Agatha Christie ou Conan Doyle, avec des genres comme le whodunit, ou dans ceux du thriller, autant que du roman noir, qui a très tôt connu son heure de gloire en étant porté au cinéma. J’ai, pour ma part, dévoré des collections entières comme celle de « Grands détectives » chez 10/18 ou les « Éditions du Masque », etc. et, ce, tout autant que j’ai avalé de la SF chez « Presse Pocket », « FNA », « J’ai lu » et tant d’autres.
un tout petit petit bout de mes lectures dans la collection « Grands détectives »
Quand j’ai commencé à écrire pour d’autres que moi, ce qui n’est pas très vieux puisque datant de 2013, j’ai toujours voulu mêler SF et Policier. La nouvelle « Vivez, éliminez », avec l’inspecteur Philippe K. Dester dans un Paris du futur, en est le premier exemple ; ce n’est d’ailleurs pas sans raison qu’elle la nouvelle qui débute Aliens, Vaisseau et Cie.
Une autre nouvelle policière et SF, titrée « Futur inextricable », aurait dû être intégrée au recueil, mais l’éditeur l’a finalement refusée car trop criminalisée sur des thèmes plus durs puisqu’il s’agit de meurtres dans un cadre particulier. J’espère d’ailleurs qu’elle paraîtra chez un éditeur, un jour prochain.
D'autres comme « Hypothèse New York » (dans l’anthologie Dimension New York 3 chez Rivière Blanche) ou « Chasse temporelle » (dans l’anthologie Le temps revisité chez Arkuiris) mêlent aussi les deux thématiques.
Pour autant dans l’univers SF classique, les aspects policiers et enquêtes m'ont longtemps semblé moins nombreux que d’autres. Sans doute une méconnaissance de ma part tout simplement, mais je n'en suis pas certain, ignorant comment ce mélange de genre à évolué.
Bien sûr, il existe des évidences et références avec certains textes d’Asimov au sein de ce qui est devenu le cycle des robots, dont « les Cavernes d’acier » avec l’inspecteur Elijah Baley et R. Daneel Olivav. Asimov s’était d’ailleurs amusé à écrire des enquêtes policières à la armchair, c’est-à-dire sans quitter son fauteuil, avec son cycle du Club des veufs noirs qui n’a absolument rien de SF, mais fait jouer à fond la réflexion et la logique.
On rajoutera Poul Anderson et « La patrouille du temps », qui forme une suite d’enquêtes policières temporelles, ou encore plusieurs titres de la « Saga Vorkosigan » de Lois McMaster Bujold, tels qu’Immunité diplomatique ou la Reine Rouge (hé oui ! Et notez qu’un peu plus loin, je préciserai que le hasard n’a pas sa place dans la résolution finale d’une enquête), « Flashback » de Dan Simmons, « les Fœtus d’acier » de Serge Brussolo, sans oublier, bien sûr, « les Futurs Mystères de Paris », la série de romans de Roland C. Wagner, ou bien d'autres encore tels que « L'Homme démoli » d'Alfred Bester (Prix Hugo 1953) avec un futur où les « flics » sont télépathes... [Merci à Didier Reboussin de me l'avoir remis en mémoire]. J'arrête la liste afin de ne pas me lancer dans un inventaire à la Prévert...
Cette dualité qui m’était apparue plus rare, moins évidente quand, ado, je lisais de la SF, m’a peu à peu attiré. Au point que, d’une part, je cherche souvent des textes mêlant ces deux thèmes et, d’autre part, que je me lance à écrire la nouvelle Surveillance qui a permis de faire naître Gerulf, androïde détective opiniâtre, aux aptitudes surartificielles, pour reprendre une citation de Robert Yessouroun à son égard.
L’un des points de départ est le fait que les polars obéissent à certains « codes » et nombreux sont les listes de ces codes (les 20 règles de S.S. Van Dine, définitions de Régis Messac, de François Fosca, etc., les 19 règles de Jorge Luis Borges).
Prenons donc celles de Jorge Luis Borges, le grand écrivain argentin, qui s’était amusé à les définir sous forme de lois :
1- Limiter le nombre de personnages – trop de personnages fera que le lecteur se perdra et ne saura découvrir qui est le coupable. 2 - Exposer toutes les données du problème, sans Deus ex machina ni tricherie – ce dont Sherlock Holmes abusait. 3 - Être avare de moyens – on évite le don d’ubiquité et on doit pouvoir déduire la solution du problème avec toutes les cartes distribuées. 4 - Rendre le « Comment » plus important que le « Qui » – la vérité est plus importante que de connaître le responsable. 5 - Rendre la mort pudique – on n’est pas dans un univers gore, mais dans un policier. Les jets d’hémoglobine, les cadavres horriblement mutilés, etc. ne sont pas nécessaires. 6 - User du merveilleux – il ne s’agit pas ici de magie, bien au contraire, mais la solution doit être certes unique, mais surprendre, étonner, voire émerveiller le lecteur. |
Ces six règles forment, selon Jorge, la base de tout bon roman policier. Et j’avoue que… eh bien oui, c’est presque ce qu’il se passe dans La Reine du Diable Rouge. Presque, je le reconnais, j’ai trahi (quoi que ce soit un bien grand mot) le point 3 car les moyens dont dispose Gerulf – qui est donc doté d’équipements genre inspecteur Gadget, mais sans exagération. Tout simplement parce qu’on est dans la SF et que la technologie existe, que certains aspects de l'histoire tiennent du techno-thriller.
Ainsi pour le point 1, dans la Reine du Diable Rouge, il y a Thomas, Alexis, Gerulf, Anna, Princesse Wu, Miss Xian en personnages principaux. Plus quelques têtes çà et là qui se déclarent très vite comme secondaires, non essentiels à l’enquête de Gerulf.
Pour le deux, tout apparaît au fur et à mesure. Mais les fausses pistes ou plutôt les pistes dans lesquelles Gerulf se fourvoie font que tout n’arrive pas directement dans la bouche ouverte. Et qu’il faut donc réfléchir. Etc.
En fait, la Reine est bien plus dans l’esprit du Grand Sommeil ou du Faucon maltais que dans le cadre d’une enquête policière. Ce qui amène forcément à des écarts entre ce type, ce genre particulier de roman noir et ce qu’expliquent Borges ou Van Dine, entre autres.
À cette base que la plupart des auteurs de policiers reconnaissent, Borges rajoute trois points supplémentaires. Ainsi qu’il le dit explicitement :
Si cette idée qui me convient fort bien, bien que la Reine débute dans une prison cachée, je suis fort épris des romans noirs et les trois idées qu’il émet ensuite me paraissent différentes.
A) Dédaigner les risques physiques – c’est-à-dire être à l’opposé de Sam Spade qui n’hésite pas au coup de poing, qui est plusieurs fois menacé par une arme, tout autant que Philip Marlowe, etc., même Sherlock Holmes vit dans le danger permanent. Pour ma part, je n’ai pas hésité à laisser courir de graves dangers à Gerulf aussi bien qu’à Thomas et Alexis. B) Renoncer aux considérations ou jugements moraux – Perry Mason ou les histoires de G.K. Chesterton sont orientés vers des canons de justice et de droit. Pour ma part, les concepts de droits ne sont pas valables dans l’Univers de SysSol, car ils varient d’une planète à l’autre, d’un satellite à l’autre aussi bien que vis-à-vis de la Spatiale ou de l’interspace. De plus, Gerulf étant un androïde, on est parfois dans des considérations totalement non-humaines. C) Rejeter le hasard – que le hasard intervienne dans l’histoire est une chose, que le hasard intervienne pour dénouer l’énigme n’est pas vraiment acceptable. |
Borges propose d’autres pistes qui pourraient, elles aussi, s’ériger en règles ou en codes, mais elles dépassent, à mon avis, l’intérêt d’une codification simple, en alourdissant les contraintes et en rigidifiant l’idée même du polar, encore plus du polar noir qui m’intéresse.
S.S. Van Dine, créateur du détective Philo Vance dans les années 26 à 39, avait lui aussi édicté une liste de règles – 20 pour être précis que je vous mets en lien ici : une page de présentation des règles de SS Van Dine et, ici, une autre version en PDF.
Si j’adhère à nombre d’entre elles, plusieurs me laissent froid à cause du mélange avec le genre de la SF et du type d’histoires auxquelles je pense. Parmi celles-ci, je citerai en premier la règle 7 en disant qu’on peut, de mon point de vue, très bien écrire un policer, et plus encore un policier-SF, sans meurtre à résoudre ou à placer dans l’histoire pour la faire rebondir. Je pars du principe qu’une disparition est tout aussi dramatique dans de nombreuses affaires. La mort n’est pas une nécessité absolue pour l’enquête, même si elle survient dans l’une ou l’autre des situations.
Il se trouve, aujourd'hui, que l’histoire de La Reine du Diable Rouge a bien fonctionné auprès des lecteurs qui ont osé franchir le pas de la lire, du moins pour celles et ceux qui m’ont fait un retour ou une critique.
Au point que, non seulement, j’ai débuté la troisième aventure de Gerulf, la seconde « Un cerveau d’yttrium » étant parue en ce début 2021 chez Pulp Factory.
On pourra même noter que la série en épisodes de Kei Arcadia, sans être une enquête policière, propose une sacrée énigme quant à l’héroïne plutôt folledingue et tête à claques de cette aventure, énigme dont toutes les pièces du puzzle sont disséminées dans l’histoire et rassemblées (ou dévoilées pour qui ne les aurait pas notées) dans l’épilogue. Quelque chose qui tient de la logique et de l’attention, un peu comme dans les Veufs noirs cités plus haut, bien qu’on ne soit pas du tout dans un fauteuil ici.
Je me demande s’il ne serait pas intéressant d'imaginer une mise en avant des œuvres SF existantes qui fusionnent – de préférence avec brio – les deux genres ou univers – chacun aborde cette définition à sa façon, bien évidemment – de les pousser lorsque cela se peut vers le lectorat policier pour avoir d’autres avis, d’autres éclairages et d’autres échanges, qui ne soient pas seulement SF ou Anticipation, mais englobent tout ce brassage.
Reste pour ma part mille questions que j’ai en tête vis-à-vis de lecteurs ou passionnés de ce couple SF-Policier et que le sujet n’est pas prêt de s’épuiser pour moi.