Imperceptible glissement de temps

Ambiance

Une anthologie réalisée dans le cadre du 1er festival d'Hettange-Grande en hommage à mon auteur fétiche PK.Dick (le titre de l'antho formant jeu de mot évidemment). Une histoire en univers dickien avec comme personnages principaux un père déboussolé et schizophrène qui doit mener une drôle d'enquête aidé par son jeune fils autiste. Bien sûr, outre les nombreux clins d'œil dickiens (23 très exactement si vous voulez les rechercher), la réalité n'a ici pas grand chose à voir avec les apparences…

Incipit

Devant moi, les hublots latéraux s’ouvrent pour me dévoiler enfin la Planète rouge et ses dômes dorés. Une drôle de pensée me vient à cet instant : pourquoi ce nom étrange lui colle-t-il à la peau ? De même, pourquoi la Terre, si moisie et si brune de crasses autant que de fumées acides, est-elle encore appelée la Planète bleue, alors que la Boueuse ou la Pourriture lui conviendrait bien mieux ? Nous autres Humains sommes si anachroniques que je ne nous comprendrai jamais tout à fait. Je soupire. À mes côtés, Little John dort toujours. J’ai envie de le secouer un peu, mais je sais que ce serait en pure perte. Notre arrivée et notre amarsissage ne l’intéresseront pas. À peine éveillé, il voudra réactiver sa tablette holographique, se plonger dans ses dessins, ses calculs mêlés à ses gribouillis indéchiffrables, faisant fi de son handicap et de sa folie, profonde autant qu’emplie de tendresse. De toute façon, il connait ces lieux qu’il ne doit guère apprécier, puisque c’est non loin de notre destination que sa mère est devenue démente et que tout a basculé pour nous. Me secouant, je m’oblige à repousser ces pensées, pour me concentrer sur lui et son réveil.
Je crois que c’est là tout mon problème : mes deux « moi », celui de Paul et celui de Jack, ne réagissent pas de la même façon avec notre fils. Autant je l’aime et lui suis proche, autant Jack préfère le tenir à l’écart. Je le pense capable, un jour, de l’abandonner quelque part après l’une de nos crises. Quoique je n’en sois pas certain. Car après chacune d’elles, l’un de nous deux oublie tout des minutes qui suivent. Ce qui fait que je ne sais jamais si mes souvenirs de ces angoisses sont réels ou dus à notre trouble dissociatif.